Désir et conflit : Fondements culturels de la différence des sexes au travail

18/04/2008 18:04

Une altérité tranchante

La différence des sexes au travail pose bien évidemment la question de la différence des sexes dans la société, les civilisations, l’humanité. Elle est un fait indiscutable, une altérité profonde, avec laquelle toute société doit savoir composer.

Il existe une méconnaissance fondamentale et fatale entre hommes et femmes : l’un ne peut pas se mettre à la place de l’autre. La différence des sexes est ainsi le premier modèle de l’altérité (l’autre est radicalement différent de moi). Sexe signifie « couper » (secare : sécateur). Ce qui tranche est aussi le début de la pensée, permettant l’absence et le manque.

Le supérieur et l’inférieur

Ce qui est le plus important, c'est que dans tous ces systèmes de division et de différenciation, les deux opposés se voient accorder une valeur inégale : ce qui correspond symboliquement au pôle masculin est considéré comme supérieur, alors que ce qui correspond au pôle féminin est considéré en général commeinférieur.

Pour exprimer le rapport orienté et hiérarchique entre le masculin et le féminin, Françoise Héritier parle de la « valence différentielle des sexes ». Ce rapport est inscrit dans la structure profonde du social, et, même s'il prend des formes variées, il est universellement caractérisé par la domination sociale du principe masculin.

Paternité sociale ou maternité familiale : il faut choisir !

Selon Héritier, cette valence différentielle des sexes proviendrait moins d'un handicap du corps féminin que de l'expression d'une volonté de contrôle de la reproduction émanant de ceux qui ne disposent pas de ce pouvoir (Héritier F. Masculin, Féminin : la pensée de la différence, Paris : Odile Jacob, 1996, p.25).

D’ailleurs, il est intéressant d’observer que les femmes accédant à un pouvoir réservé d’ordinaire aux hommes ont souvent renoncé à la maternité, ou bien se la voient crucialement reprocher, comme s’il fallaitchoisir entre l’un ou l’autre pouvoir.

La culture se définit comme les usages et les langages qui structurent nos représentations. A cet égard, il est intéressant de voir qu’alors que le latin et le grec comportent un neutre grammatical, le français par exemple ne se divise qu’en masculin et féminin, et le masculin l’emporte. Par exemple, on dit « l’homme dans l’entreprise », « hommes et entreprises », alors que la langue française comporte un terme plus universel, celui d’« être humain », ou d’« humain ».

Ces détails ont l’air anodin. En réalité, ils véhiculent nos représentations profondes, pour ne pas dire inconscientes, sur la différence des sexes. C’est ainsi que l’on dira « une femme de ménage », mais « un docteur », « un pilote », « un directeur » (le terme « directrice » évoque plutôt « directrice d’école primaire » qu’autre chose).

La culture, ce sont aussi « les codes », vestimentaires par exemple. Il est implicitement requis de la femme qu’elle soit « en représentation », en « faire-valoir » de l’homme (cf. les hôtesses d’accueil).

La femme désignée…

Il pourrait être d’ailleurs intéressant de se demander les raisons pour lesquelles, lorsque l’on parle de la différence des sexes, le point de vue est tout de suite focalisé sur « la femme », comme exception, victime, coupable etc. L’identité masculine au travail est très peu mise en question, comme s’il s’agissait là encore d’un référent incontournable, qui est pourtant en évolution.

La femme est « désignée », ce qui signifie qu’elle est dépossédée des signes (de-signa) du pouvoir social masculin, et perçue comme un « en-moins » (ce que la psychanalyse, à commencer par Freud, comprendra ainsi : la petite fille se sentirait dépossédée du pénis, attribut du garçon…). Selon la philosophe Geneviève Fraisse, quand on cesse d’exclure, on discrimine.

Une sexualisation des relations au travail

Au travail, la confusion de la vie privée/familiale et de la vie professionnelle est très fréquente. Elle est à interroger, non seulement sur le mode de la reproduction des schémas familiaux (le directeur = le père), mais aussi sur sa finalité. Nombre d’aventures extraconjugales ont lieu au travail, mais parfois, les rapports sexuels ont lieu au sein même de l’entreprise.

La sexualisation des rapports hommes/femmes dans l’entreprise y est permanente, sous forme de blagues, d’allusions, de séduction etc. Elle indique bien que cette différence des sexes est anthropologiquementprésente, que ce soit sous le monde du conflit (pouvoir, domination), ou du désir (séduction, fantasme).

Car la construction culturelle des genres s’enracine d’abord dans une altérité sexuée, qui est à la fois le moteur du désir et du conflit entre hommes et femmes. Il est étonnant de constater à quel point les relations humaines demeurent particulièrement sexualisées dans le monde du travail.

Être sexué ou ne pas être ?

Il existe de véritables vertus heuristiques d’une lecture sexuée du monde du travail. Rousseau soulignait que la différence sociale essentielle entre les hommes et les femmes est que la vie des hommes n’est pas réduite à la partie sexuée de leur être. Les hommes ne sont des hommes (êtres sexués) qu’à certains moments de leur vie, alors que les femmes sont toujours des femmes. L’homme pourrait être, dans nos représentations, un être sexué ou un universel, au choix.

Il apparaît donc décisif que les femmes, à l’instar des hommes, gagnent enfin le droit de décider du temps où elles sont dans l’espace de la différence sexuelle et celui où elles sont dans l’espace universel(temps philosophique de la raison, qui concerne la catégorie des êtres humains). C’est d’une évolution strictement culturelle qu’il s’agit ici.