Des valeurs au travail... Morceau de bravoure.
La notion de « valeurs » est actuellement souvent prônée dans l’entreprise. Elle semble évidente pour tous, car elle parle à tous, sans pourtant que chacun ne sache définir les multiples sens qui la constituent.
Qu'entend-t-on par valeur au travail ? : Reconnaissance, compétence, salaire, implication, motivation, ancienneté, capacité de travail en équipe, réussite, bien-être, confort, performance, etc. ? Chacun pourrait ajouter sa petite touche, nous aurions 1 000 définitions qui nous laisseraient bien perplexes mais ne nous simplifieraient pas la tâche. Et si la première question à se poser était la suivante : Comment définit-on la valeur ?
L’Arlésienne (celle dont on parle toujours, mais qu’on ne voit jamais).
Et nous voilà à nouveau à faire tourner cette question dans notre esprit, cherchant une échelle de valeur de ce terme… STOP… ne nous retranchons pas derrière ce mot dès que nous voulons quantifier, qualifier, exclure, formater l'esprit d'entreprise (ou d'entreprendre), gratifier quelque chose ou quelqu'un eu égard à certains critères dont nous prônons l'importance.
La notion de valeur est, d’une part, propre à chaque individu, mais aussi relève des codes culturels qui gravitent autour de lui ; elle est fonction de son champ de représentations et du champ de représentations collectif.
Lorsque nous usons du mot valeur pour qualifier un produit ou un individu nous nous retrouvons dans la sphère de la croyance en « ce qui a un prix » (pour soi et pour l’autre). Comment définit-on son importance ? Quelles croyances collectives influent sur nous ? Sont-ce de vraies ou de fausses croyances ? Le contexte en cet instant précis influe-t-il ? Qu'en est-il de l'apparence ? Des perspectives d'analyse et des interprétations ? Autant de questions dont l'importance est primordiale lorsqu'on essaie de qualifier la valeur.
Toute valeur est une notion en effet abstraite, véhiculant souvent l’idée d’engagement et de promesse, à soi et à l’autre (ex. : la fidélité, la loyauté, le courage, la justice, la solidarité…). Une valeur est toujours d’essence chevaleresque, et l’on parlera de valeurs héroïques.
Idéal et valeur.
La valeur n’est pas l’idéal. L’idéal est en effet un objectif, souvent inatteignable, qui sert pourtant de ligne directrice à une conduite. En revanche, les valeurs qualifieront la conduite elle-même. C’est ainsi que l’on s’attend, lorsqu’on revoit une personne des années après, qu’elle porte « les mêmes valeurs ». La permanence est le signe de la valeur, et cela rejoint cette notion d’engagement et de promesse. C’est aussi en cela que la valeur est l’indicateur du lien social (de même que « la valeur marchande », qui permet l’échange, donc est aussi constitutive du lien social), elle en est son maintien.
La valeur est donc le qualificatif noble que l’on donne à une conduite pour atteindre un idéal.
Valeur et évaluation.
La valeur appelle l’évaluation, c’est –à-dire le jugement de tel ou tel phénomène à partir d’une série de critères, que l’on estimera nobles.
Sur quels critères peut-on « accorder de la valeur à quelque chose » ? « Estimer à sa juste valeur » ?
Dans le cadre du travail, la valeur du travail est portée par l’individu, le collectif et l’organisation. Parfois, ces entités peuvent entrer en conflit, lorsque la dynamique des contre-pouvoirs ne parvient plus à s’exprimer. D’autres fois, des adéquations peuvent être trouvées, souvent sur la base de quiproquos, qui se lèveront à la moindre divergence.
La valeur du travail est reconnue de différentes façons (reconnaissance morale, augmentations, titres, qualifications, promotions etc.). Cette reconnaissance fait foi dans le champ social, mais parfois, l’entreprise, dans sa gestion des compétences, ne sait plus reconnaître les personnes à « leur juste valeur », parce que son idéal d’entreprise a été remplacé par un objectif de rentabilité à court terme. La permanence et la durée sont au cœur des valeurs, la rentabilité à court terme vient donc mettre à mal la présence des valeurs dans l’entreprise, ce que l’entreprise croit souvent pallier en « prônant » des valeurs. C’est ce que Sémiode appelle le déracinement culturel. L’entreprise ne sait plus qui elle est, car elle ne sait plus quelles sont ses valeurs, donc, ce qui constitue sa personnalité.
De même, l’entreprise exige une adéquation entre les valeurs organisationnelles et les valeurs individuelles. Car les valeurs se classent sur des échelles, que ce soit à titre individuel et collectif. En France, par exemple, les valeurs « liberté, égalité, fraternité » se déclinent différemment au niveau politique, selon une appartenance à la droite (« la liberté » sera 1ère sur l’échelle de valeur) ou à la gauche (laquelle privilégiera souvent « l’égalité »). L’essentiel est d’obtenir un consensus sur les valeurs de l’entreprise, et de ne pas trop activer les dissensions. Dans le cas contraire, des divergences peuvent se faire jour. Par exemple, un salarié estimera que son travail a une haute valeur alors que, pour l’entreprise, cela ne sera pas nécessairement le cas, en fonction des valeurs qui sont les siennes.
Il existe également des priorités dans l'ordre des valeurs retenues par un groupe ou une entité. Ces priorités peuvent modifier les comportements. En effet, si la valeur « solidarité » (travail en équipe autour d’un même projet vers un même objectif) est priorisée, qu’en est-il de la valeur honnêteté ? A-t-elle moins d'importance ? Est-elle considérée ? Autant de questions qui peuvent se décliner sur la notion de valeur.
Valeurs et apparences.
Et qu'en est-il des valeurs dont on se revendique mais que l'on n'applique jamais ? Il n'est pas rare de voir un dirigeant prétendre que son entreprise a telle ou telle valeur, alors que ce que son entreprise renvoie est totalement à l'opposé. La valeur est voisine de l'idéal, et la recherche absolue de ce dernier conduit souvent à des situations dans lesquelles les valeurs défendues ne sont jamais mises en application, et où les valeurs sont confondues avec l’idéal, qu’elles ne sont pourtant pas. C’est l’éternelle question de la fin qui justifie (ou non) les moyens. Atteindre l’idéal fixé justifie-t-il que l’on se donne les moyens « à tout prix », c’est-à-dire au prix même des valeurs appliquées aux comportements, valeurs qui pourtant justifient pour beaucoup l’existence de cet idéal ? Autant dire que cette question n’est pas simple, et qu’à défaut d’être pensée, elle comporte souvent de grandes implications pratiques pour l’entreprise.
Valeurs et cultures.
On constate que certains milieux sont plus associés que d'autres à la notion de valeurs. Il semblerait que les fonctions manuelles soient plus aisément associées à des valeurs. Prenons l’exemple des Compagnons et Meilleurs Ouvriers de France. Le travail manuel représente la « création » sortie des mains de l'homme, le travail sur la matière, donc, plus spécifiquement la sortie de l’état de nature vers un état de culture, c’est-à-dire, de civilisation.
Les différents sens donnés aux valeurs dans l’entreprise traduisent ainsi l’état de notre civilisation actuelle.